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La juste valeur marchande des cryptoactifs

Il ne fait pas de doute que les cryptoactifs suscitent de plus en plus d’intérêt auprès des entreprises, que ce soit pour diversifier leurs investissements, pour créer des produits financiers qui s’apparentent aux fonds négociés en bourse ou simplement pour proposer un mode de paiement alternatif à leurs clients. Peu importe la finalité recherchée, une variable demeure centrale : ces entreprises doivent connaître le prix, ou plutôt la valeur, de ces cryptoactifs. De fait, ne serait-ce qu’à des fins comptables, il est essentiel d’avoir une référence pour déterminer la valeur des actifs et passifs d’une entreprise qui achète ou utilise des cryptoactifs. 

Alors que la méthodologie comptable traditionnelle suppose de rechercher la « juste valeur » d’un actif financier ou non financier standard, l’utilisation de cette approche peut, à première vue, sembler difficilement conciliable avec cette nouvelle classe d’actifs que constituent les cryptoactifs. C’est d’ailleurs sur cette question que s’est récemment posé Benoit Chambon [1], qui a analysé la faisabilité du rattachement des normes comptables traditionnelles aux cryptoactifs.

Les normes comptables

Les Normes internationales d’information financière (IFRS) définissent la « juste valeur » comme étant « le prix qui serait reçu pour la vente d’un actif ou payé pour le transfert d’un passif lors d’une transaction normale entre des intervenants du marché à la date d’évaluation (un prix de sortie) » [2]. 

La juste valeur des cryptoactifs

L’utilisation des méthodes comptables traditionnelles peut s’avérer ardue lorsqu’il en vient à l’évaluation de la juste valeur des cryptoactifs. D’abord, il est essentiel d’isoler l’actif et son unité de compte, ce qui peut occasionner certaines difficultés, surtout dans les cas où une « fork » est observée sur une chaîne de blocs, entraînant ainsi des jetons dérivés de la chaîne principale. Par ailleurs les normes comptables nécessitent de déterminer la technique d’évaluation la plus appropriée entre (i) l’approche de marché; (ii) l’approche par les revenus; et (iii) l’approche par les coûts. Les deux dernières ne semblent toutefois pas conciliables avec la nature même des cryptoactifs en raison notamment de la volatilité actuelle de ces actifs et de la prise en compte de variables qui ne sont pas systématiquement impliquées, comme les coûts de minage. 

C’est donc dire que la juste valeur marchande d’un cryptoactif est le prix qu’un acheteur qui n’est pas obligé d’acheter est prêt à payer pour l’acquérir et qu’un vendeur qui n’est pas obligé de vendre est prêt à accepter en contrepartie de celui-ci, et qui serait déterminé par les prix courants observables sur une plateforme donnée. 

La nécessité d’un marché actif

Mais avant tout, les IFRS exigent de déterminer s’il existe un « marché actif », c’est-à-dire un marché sur lequel le volume et la fréquence des transactions sont suffisamment élevés pour fournir des informations sur les prix, et ce, de manière continue. Or, ce n’est que lorsque le prix coté du cryptoactif publié par la plateforme est l’expression de sa conversion directe en monnaie fiduciaire que les informations concernant cette transaction doivent être considérées. De fait, les transactions entre cryptoactifs (par exemple, acheter de l’éther avec du bitcoin) nécessitent ensuite une conversion en monnaie fiduciaire, de sorte que des coûts de transactions dus à cette conversion subséquente peuvent être impliqués en raison de la volatilité du marché et avoir pour effet de biaiser les données. Dès lors, certaines données doivent être écartées en vue de la détermination de la juste valeur au plan comptable. 

Une fois le « marché actif » déterminé, les IFRS suggèrent que celui-ci constitue le marché principal sur lequel la juste valeur du cryptoactif peut être mesurée. Mais c’est là que le bât blesse : la plupart des cryptoactifs sont négociés sur une pluralité de plateformes, de sorte qu’il est laborieux de déterminer un seul marché principal. Il faut d’autant plus résister à l’envie de sélectionner d’ores et déjà le marché sur lequel le niveau d’activité ou le volume de transactions est le plus élevé, puisque celui-ci n’est pas nécessairement le plus représentatif de la juste valeur, considérant l’éclatement du marché des cryptoactifs. Dans ces circonstances, les IFRS invitent les entreprises à sélectionner le marché (ou la plateforme) le plus avantageux, soit celui qui maximise le montant reçu pour vendre un cryptoactif ou qui minimise le montant payé pour le transférer.

Un sacrifice de la représentativité de la juste valeur?

Néanmoins, comme le rappelle Chambon, « due to the atomic nature of the crypto market, we assume the crypto asset’s fair value calculation would be perfectly representative only if this calculation lies on an aggregation of the transaction data publicly delivered by the most significant platforms’ API. » [3] De fait, il peut sembler inapproprié de baser une analyse sur une plateforme unique, mais les IFRS interdisent l’utilisation d’un prix moyen pondéré pour établir la juste valeur et Chambon soutient que l’agrégation des données de plusieurs plateformes pourrait être considérée comme tel. 

Mais n’est-ce pas là un sacrifice de la représentativité économique qui permettrait d’obtenir des données plus exactes pour déterminer la juste valeur des cryptoactifs? Ce questionnement mettra certainement en perspective l’opportunité d’apporter des changements aux IFRS afin qu’elles soient plus adaptées aux nouvelles catégories d’actifs. 

Selon Chambon, la solution pourrait plutôt consister à considérer le marché principal ou le plus avantageux à l’échelle des paires de négociation plutôt qu’à celle de plateforme. De fait, il propose qu’un marché basé sur une paire de négociation (par exemple, BTC-USD ou BTC-CAD) pourrait être plus approprié et permettre d’en arriver à une évaluation plus représentative de la juste valeur des cryptoactifs. 

Conclusion

Quoi qu’il en soit, l’évaluation comptable de la juste valeur des cryptoactifs n’est que la pointe de l’iceberg concernant le caractère inadapté des normes actuellement en place à ces nouveaux produits. Considérant l’ampleur que prend ce marché émergent, les autorités concernées auront tôt fait de combler ces lacunes, telles qu’exposées à raison par Chambon.  

Anne-Sophie Godbout LL.M., avocate

[1]  Chambon, Benoît, « Insights on the fair market valuation of crypto assets », Medium, 11 mai 2021, en ligne: <https://medium.com/koinju/insights-on-the-fair-market-valuation-of-crypto-assets-8cc4f44cd161>. 

[2]  Deloitte, « IFRS 13, Évaluation de la juste valeur », Deloitte, décembre 2012, en ligne : <https://www.iasplus.com/fr-ca/projets/ifrs/projets-termines/ifrs-13-fair-value-measurement>. 

[3]  Supra, note 1.


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