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Devrait-on encadrer davantage la promotion des cryptomonnaies par les influenceurs?
Par Joey Blais 

Les fraudes en matière de cryptoactifs ont permis d’extirper 14 milliards à des investisseurs à travers le monde en 2021 [1] . Une proportion considérable de ces pertes se sont produites en raison de projets frauduleux. Vu l’ampleur et la croissance de ces stratagèmes trompeurs, il y a lieu de se demander si le temps n’est pas venu, à l’instar de la Commission Nationale du Marché des Valeurs Mobilières espagnole, d’encadrer les influenceurs qui, parfois malgré eux, font la promotion de ces projets aux dépens de leurs abonnés. 

À titre illustratif, en avril 2021, plusieurs investisseurs québécois ont été floués après avoir procédé à l’achat de jetons MRS offerts dans le cadre du projet de plateforme d’échange de cryptomonnaies que développait le jeune lavallois Antoine Marsan. La vente de ces « jetons utilitaires » offerts au public sans prospectus et sans que les promoteurs du projet détiennent d’inscription auprès de l’Autorité des marchés financiers a occasionné d’importantes pertes pour les investisseurs. Le Tribunal administratif des marchés financiers a depuis rendu une ordonnance interdisant la vente de valeurs mobilières par les trois collaborateurs à l’origine de ce projet pour une période de 12 mois [2] . Il s’agit d’Antoine Marsan, de Bastien Francoeur et de Kevin Mirashi. Selon la preuve présentée, le jeton MRS aurait été promu par plusieurs influenceurs québécois, dont M. Mirashi qui a affirmé que l’objectif était « de créer une sorte de "hype" » [3] envers le projet. Kevin Mirashi avait été mandaté par la société Change Marsan pour faire la promotion du jeton. Ces efforts publicitaires ont connu du succès propulsant le jeton MRS à un sommet historique jusqu’à ce qu’un individu, dont l’identité est inconnue, procède à la vente massive de 20 % de ces jetons en circulation provoquant par le fait même la chute de l’actif. Si le Tribunal administratif des marchés financiers a conclu que l’émission des jetons par les trois collaborateurs constituait une vente illicite de valeurs mobilières, des questions demeurent toutefois pertinentes quant à la responsabilité des influenceurs qui en auraient fait la promotion.  


Au Québec, la Loi sur les valeurs mobilières (ci-après « LVM ») prévoit que « le fait, par un intermédiaire, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de titres […] » [4] constitue un placement au sens de la loi. De plus, la LVM définit comme suit le courtier :

toute personne qui exerce […] 1° des opérations sur valeurs comme contrepartiste ou mandataire; 2° le placement d’une valeur pour son propre compte ou pour le compte d’autrui; 3° tout acte, toute publicité, tout démarchage, toute conduite ou toute négociation visant même indirectement la réalisation d’une activité visée au paragraphe 1° ou 2°; 

Cette définition englobante est à notre avis suffisamment large pour inclure les influenceurs et engager leur responsabilité s’ils font la promotion d’un placement illicite d’une manière contraire à la loi. L’on remarque cependant que les tribunaux ont plutôt tendance à s’intéresser aux mandataires de l’émetteur fautif qu’aux influenceurs qui auraient, par insouciance, indirectement fait la promotion du placement illicite. À tout le moins, le Québec aurait potentiellement intérêt à s’inspirer des mesures mises en place par l’Espagne afin de prévenir les publicités trompeuses. 

Effectivement, la Commission Nationale du Marché des Valeurs Mobilières espagnole a instauré un règlement qui obligera désormais les individus qui font la promotion de cryptoactifs à inscrire la mise en garde suivante dans leurs messages publicitaires « Investments in crypto-assets are not regulated. They may not be appropriate for retail investors and the full amount invested may be lost. » [5] Le règlement instaure également une mesure de surveillance qui oblige quiconque prévoyant mener une campagne publicitaire visant plus de 100 000 personnes à donner un préavis d’au moins dix jours à la Commission : 

The Circular defines the way in which the CNMV shall supervise and establishes a mandatory prior communication regime for mass advertising campaigns, defined as being those addressed to 100 000 people or more, which must be communicated to the CNMV at least ten days in advance. The remaining promotional activities shall also be subject to the supervisory action of the CNMV, but prior communication shall not be required. [6]

Par conséquent, cette disposition sera applicable aux influenceurs qui possèdent plus de 100 000 abonnés. Le non-respect de cette nouvelle disposition pourra entraîner des amendes n’excédant pas 300 000 euros. [7]

Enfin, notons que l’Espagne n’est pas seule à avoir émis des préoccupations quant à la promotion de cryptoactifs. Comme l’a souligné le Tribunal administratif des marchés financiers dans l’affaire AMF c. Change Marsan, les autorités réglementaires américaines ont récemment émis des mises en garde et entrepris certaines actions en justice à l’endroit d’influenceurs qui font la promotion de projets de cryptomonnaies : 

Le tribunal souligne ici qu’aux États-Unis, le régulateur en valeurs mobilières a émis des mises en garde et a sanctionné certains rappeurs et influenceurs qui ont été impliqués dans la promotion de cryptoactifs constituant des valeurs mobilières pour notamment avoir contrevenu à la législation en valeurs mobilières. Entre autres dans l’affaire SEC v. Clifford Harris Jr. Dans cette affaire, la SEC a considéré que les gestes suivants de Harris étaient de la vente de valeurs mobilières sans inscription : "Harris participated in the offer and sale of FLiK tokens. He significantly amplified the reach of the FLiK ICO when he, through a business agent, began promoting it on his own social media accounts, encouraging investors to purchase FLiK tokens, and providing a hyperlink through which they could do so. […] Harris further arranged for another celebrity to promote the FLiK ICO, reaching tens of millions more." [8]

[1]  Tom Wilson, « Crypto crime hit record $14 billion in 2021, research shows » (6 janvier 2022), en ligne : Reuters < reuters.com/markets/us/crypto-crime-hit-record-14-billion-2021-research-shows-2022-01-06/ >.

[2]  Autorité des marchés financiers c Change Marsan inc, 2021 QCTMF 43 [Marsan].

[3] Tristan Péloquin, « Quand les influenceurs s’improvisent maîtres des cryptomonnaies » (23 avril 2021), en ligne : LaPresse < lapresse.ca/actualites/2021-04-23/quand-les-influenceurs-s-improvisent-maitres-des-cryptomonnaies.php >.

[4]  Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1, art 5.

[5]  Commission Nationale du Marché des Valeurs Mobilières, « New CNMV circular on the advertising of crypto-assets for investment purposes » (2022) à la p 1, en ligne (pdf) : Comisión Nacional Del Mercado de Valores < cnmv.es/portal/verDoc.axd?t=%7B1cbaf61c-57c2-4830-bd6a-071f806795e2%7D >.

[6]  Ibid à la p 2.

[7]  Kris Holt, « Spain sets new rules for influencers who promote cryptocurrency » (17 janvier 2022), en ligne : YahooFinance < ca.finance.yahoo.com/news/spain-influencers-cryptocurrency-promotion-rules-advertising-172028187.html >.

[8] Marsan, supra note 2 au para 264. 

 

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