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L’affaire SEC v Ripple Labs Inc: la mise à l’épreuve du test d’Hinman

Par Joey Blais

La U.S Securities and Exchange Commission (SEC) essuie un revers notable dans l’affaire SEC v Ripple Labs Inc [1]. alors que la juge Sarah Netburn a accueilli la demande de Ripple visant à interroger William Hinman, l’ancien Directeur de la division des finances des sociétés de la SEC [2]. La déposition de ce dernier, initialement prévue le 19 juillet, a été repoussée au 27 juillet prochain [3]. 

Une décentralisation « suffisante »

En 2018, M. Hinman avait suscité la controverse en déclarant que Bitcoin et Ethereum étaient suffisamment décentralisés pour ne pas être assujettis à la législation relative aux valeurs mobilières [4]. En droit américain, c’est selon les critères élaborés dans l’affaire SEC v W.J. Howey Co [5] que les tribunaux déterminent si un cryptoactif se qualifie tel un contrat d’investissement. Le « test d’Hinman », soit le degré de décentralisation d’un cryptoactif, prend son importance lors de la quatrième étape du test d’Howey qui exige « la subordination du client vis-à-vis du succès de l’entreprise » [6]. Selon l’analyse de M. Hinman, qui s’est ensuite matérialisée dans certaines décisions judiciaires aux États-Unis et ailleurs à travers le monde, une décentralisation suffisante fait échec au test du contrat d’investissement :

If the network on which the token or coin is to function is sufficiently decentralized – where purchasers would no longer reasonably expect a person or group to carry out essential managerial or entrepreneurial efforts – the assets may not represent an investment contract. Moreover, when the efforts of the third party are no longer a key factor for determining the enterprise’s success, material information asymmetries recede. As a network becomes truly decentralized, the ability to identify an issuer or promoter to make the requisite disclosures becomes difficult, and less meaningful. » [7]

Or, cette méthode d’analyse quant à la structure des cryptoactifs a occasionné davantage de questions qu’elle n’a offert de réponses. C’est essentiellement l’absence d’une délimitation précise sur ce que constitue un degré de décentralisation suffisant qui demeure litigieux. Cette confusion a d’ailleurs été exacerbée par certaines déclarations provenant de hauts fonctionnaires de la SEC et de la Commodity Futures Trading Commission (ci-après « CFTC »). Le commissaire de la CFTC, Brian Quintenz, a notamment indiqué que le statut juridique d’un cryptoactif pouvait se transformer au cours de son existence : « [cryptoassets] may start their life as a security from a capital-raising perspective but then at some point – maybe possibly quickly or even immediately – turn into a commodity ».  [8]

Ainsi, outre l’acceptation imprécise selon laquelle Ethereum et Bitcoin sont suffisamment décentralisés pour ne pas être assujettis à la législation sur les valeurs mobilières, peu d’indicateurs concrets permettent de définir ce qu’est fondamentalement le seuil de décentralisation requis. Considérant la prétention centrale de Ripple selon laquelle le degré de décentralisation de son organisation serait assimilable à celui d’Ethereum, le témoignage inattendu de William Hinman ainsi que la décision dans son ensemble devraient permettre de préciser les contours de la notion de décentralisation en matière de cryptoactifs.

Des répercussions en droit canadien?

Le Canada ayant adopté une approche juridique semblable à celle préconisée par son homologue américain, l’équivalent canadien du « test du contrat d’investissement » est celui élaboré par la Cour suprême dans l’affaire Pacific Coast Coin Exchange c Ontario Securities Commission [9].

Une analyse de la jurisprudence récente en matière de qualification des cryptoactifs tend à démontrer que le test d’Hinman a également fait son apparition au sein des tribunaux canadiens. À titre illustratif, dans Lacroix c Autorité des marchés financiers [10], la Cour accorde une importance considérable au critère de la décentralisation sans pour autant en définir les limites. Dans cette décision, les appelants plaidaient que le cryptoactif PlexCoin ne pouvait être qualifié de contrat d’investissement puisqu’il n’y avait pas « d’affaire » derrière le projet [11]. Ainsi, ils fondaient leurs prétentions sur la ressemblance entre Bitcoin et PlexCoin. Sans trancher la question sur le fond, la juge Céline Gervais admet « […] qu’on peut tirer de la lecture de ces autorités des arguments pour soutenir le fait que le Bitcoin ne constitue pas un contrat d’investissement au sens de la LVM. » [12] Elle distingue cependant Bitcoin et PlexCoin selon la « doctrine Hinman » en réitérant l’argument du tribunal administratif des marchés financiers selon lequel il y a derrière PlexCoin « […] une organisation humaine et un contrôle par quelques personnes derrière le projet, […] PlexCoin étant une cryptomonnaie centralisée, contrairement au Bitcoin qui est une cryptomonnaie décentralisée. » [13] Cette utilisation du critère de la décentralisation souffre une fois de plus d’une imprécision déconcertante. S’il n’y avait aucun doute à savoir que PlexCoin relevait d’une organisation centralisée, des précisions à l’égard de ce que constitue un cryptoactif suffisamment décentralisé pour ne pas être assujetti à la Loi sur les valeurs mobilières [14] auraient été les bienvenues. 

Tout compte fait, l’affaire Ripple pourrait d’une part mettre fin à l’incertitude juridique en balisant clairement ce que constitue une décentralisation suffisante en droit américain. D’autre part, la décision aura vraisemblablement pour effet d’offrir, d’un point de vue comparatif, des solutions permettant de clarifier la notion de décentralisation en droit canadien considérant la forte ressemblance qui découle de la démarche de qualification du contrat d’investissement au Canada et aux États-Unis.

[1] SEC v Ripple Labs Inc., 20 CV 10832 (NY Dist Ct 2020) [Ripple].

[2] Chris Dolmetsch, « Ripple Labs Can Question Former SEC Official in Suit Over XRP » (15 juillet 2021), en ligne: Bloomberg.com < bloomberg.com/news/articles/2021-07-15/ripple-labs-can-question-former-sec-official-in-suit-over-xrp >.

[3] Rick Steves, « Ripple and SEC Make progress on privilege issues, postpone deposition to july 27 » (17 juillet 2021), en ligne: financefeeds.com < financefeeds.com/ripple-sec-make-progress-privilege-issues-postpone-deposition-july-27/ >.

[4] William Hinman, Directeur de la division des finances des sociétés de la U.S. Security and Exchange Commission « Digital Asset Transactions: When Howey Met Gary (Plastic) », Yahoo Finance All Markets Summit: Crypto présentée à San Francisco, 14 juin 2018.

[5] SEC v W. J. Howey Co., 328 US 293 (1946) [Howey].

[6] Pacific Coast Coin Exchange c Ontario Securities Commission, [1978] 2 RCS 112 à la p 114 [Pacific Coast Coin].

[7] Hinman, supra note 4. 

[8] Douglas E. Arend et Rebecca G. DiStefano, « Regulators Weigh in on Digital Assets, Tokens, Securities, and Derivative Instruments Used in ICOs » (24 Novembre 2017), en ligne: Martindale < martindale.com/legal-news/article_greenberg-traurig-llp_2504209.htm >.

[9] Pacific Coast Coin, supra note 6.

[10] Lacroix c Autorité des marchés financiers, 2020 QCCQ 1467 [Lacroix].

[11]  Ibid au para 43. 

[12]  Ibid au para 46.

[13] Ibid

[14]  Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ c V-1.1.


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