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LES JETONS NON-FONGIBLES OU NON-FUNGIBLE-TOKENS, LA CHAÎNE DE BLOCS EN ACTION : ENJEUX PRATIQUES ET LÉGAUX 

Par Rokhaya Diop 

Chronique d’un webinaire 

Le mercredi 20 octobre 2021, Me Jules Gaudin, avocat chez ROBIC, a présenté une communication sur les « Jetons Non-Fongibles appelés encore Non-Fungible-Tokens (NFT) ». Il propose une analyse des enjeux pratiques et légaux afférents à ces jetons. Selon Me Gaudin, le NFT est un certificat créé à partir d’un smart contract; il peut porter sur tout type d’objet (morceau de musique, œuvre numérique, etc.) et doit être non-fongible afin d’illustrer son caractère unique et non interchangeable. Il existe à l’image du bien sur lequel il porte : le CryptoKitties, un jeu qui permet d’acheter, de collecter, d’élever et de vendre des chats numériques qui sont représentés par les jetons non fongibles en est une illustration.  

Les enjeux légaux abordés dans le cadre de cette présentation sont relatifs à la fiscalité, à l’application des droits, à la protection des consommateurs et aux valeurs mobilières.  

Les enjeux fiscaux résident dans la variabilité de la valeur d’un NFT et des plus-values qu’il peut générer. Me Gaudin soulève de ce fait quelques interrogations sur les possibilités de déclaration du NFT comme élément du patrimoine lors de la déclaration d’impôt, de l’imposition sur les plus-values en cas de vente ou taxe sur l’achat ou la vente et de l’imposition sur la création d’un NFT.  

Ces interrogations nous incitent à nous prononcer sur le régime fiscal applicable aux jetons non fongibles. Nous croyons que les jetons non fongibles ne peuvent pas être assujettis au régime applicable aux actifs numériques, les régimes quant à l’offre au public même diffèrent1. Ainsi, conforter l’applicabilité du régime fiscal des actifs numériques aux NFT serait freiner l’essor des NFT et favoriser leur dévalorisation. Dans ce sens, l’amendement déposé (mais non adopté), le 30 septembre 2021 par le député Pierre Person, à l’Assemblée nationale française en vue de l’instauration d’un régime fiscal ad hoc applicable aux jetons non fongibles2 était salutaire, puisqu’il permettait de mettre en place un cadre juridique souple favorable au développement de cette technologie. Il visait à imaginer ce que serait la définition légale des jetons non fongibles et à exclure expressément ces derniers du régime général des plus-values de cessions d’actifs numériques, en créant un régime ad hoc aux jetons non fongibles3. Nous déplorons le rejet de cet amendement qui aurait été l’occasion pour la France de poser le premier jalon en matière de régime fiscal des NFT. 

 Concernant l’application des droits, les enjeux que présente l’impossibilité de supprimer un NFT face à l’exercice du droit à l’oubli ont été évoqués. Ces propos de Me Gaudin nous amènent à rappeler que le NFT repose sur un registre distribué et décentralisé qui présente un avantage certain quant à l’intégrité et la certification des données. L’inaltérabilité du NFT permettra de démontrer qu’il a existé et qu’il pourrait être retracé dans l’ordre chronologique. Quid de l’application du droit à l’oubli ? Au préalable, il faudrait préciser que le domaine d’application de ce droit renvoie aux moteurs de recherches généralisés4. Or, la chaine de blocs s’identifie au regard de ses caractéristiques spécifiques, parmi lesquelles l’immuabilité. Cette dernière qui est le propre de cette technologie s’oppose même au droit à l’oubli. Ensuite, tous les échanges sont sécurisés du fait de l’usage de la cryptographie qui rend le contenu accessible grâce à une clé dont seul chaque titulaire de NFT est détenteur. Il serait donc très difficile d’envisager l’application du droit à l’oubli dans ce contexte.  

Après avoir évoqué l’hypothèse d’une demande de suppression d’un NFT face au droit à l’oubli, nous aurions aimé qu’une solution soit proposée par le présentateur. Le protocole de consensus, par lequel tous les nœuds se mettent d’accord pour la validation d’une transaction, pourrait en être la clé de voûte. Il suffirait donc qu’il existe un accord sur la suppression d’un NFT pour que celui-ci soit retiré de la chaine de blocs. 

Les NFT portant nécessairement sur un bien, le présentateur a également posé la question de l’application des droits y afférents lorsque le bien disparait. Les droits d’auteur ont été l’exemple patent donné dans le cadre de cette présentation puisqu’ils ne sont pas perpétuels. Ainsi, le problème de la valeur d’un NFT qui porte sur une licence si le droit d’auteur en question disparait a été soulevé. Sur ce point, Me Gaudin a mis l’accent sur le fait que l’achat d’un NFT n’emporte pas transfert des droits d’auteur, le titulaire de l’œuvre conservant plutôt son droit de propriété. Nous nous permettons d’aller au-delà de l’affirmation de Me Gaudin, en précisant qu’en cas de disparition de l’œuvre, le NFT perdrait nécessairement sa valeur, car son titulaire ne dispose pas de droits nécessaires qui permettent sa survie, lesdits droits conférant plutôt une licence d’utilisation à celui-ci. Cependant, un plus grand formalisme devrait être requis pour l’accord des licences entre le titulaire des droits d’auteur et l’acheteur du NFT. À titre illustratif, cet accord pourrait faire l’objet d’un écrit qui sera ancré sur la chaine de blocs. Faudrait-il encore préciser que celui-ci ne devra porter que sur les droits cessibles afférents aux droits patrimoniaux ; les droits moraux étant incessibles. Nous pouvons prédire que les jetons non fongibles ont un avenir certain en droit de la propriété intellectuelle, car ils offrent une nouvelle conception qui innove, d’une part, du fait de sa nature numérique, d’autre part, parce qu’elle permet l’authentification de l’œuvre. 

Les enjeux relatifs à la protection des consommateurs du fait de la migration des plateformes étrangères vers un environnement de commercialisation plus favorable ont été également exposés. Selon Me Gaudin, le risque de se voir appliquer des lois contraignantes relatives à la protection des consommateurs devrait être pris en compte. En ajout, précisons que les règles protectrices des consommateurs s’appliquent inévitablement, quel que soit la localisation du vendeur au départ de la vente. Ainsi, un vendeur canadien qui désire commercialiser ses jetons sur une plateforme française devra malgré tout se soumettre à une obligation d’information précontractuelle en vertu de la loi française5. À cet effet, il doit aviser le consommateur des droits limités (par ex : droit de visualisation) dont il dispose afin qu’il ne s’approprie pas l’œuvre. En cas de manquement à l’obligation d’information précontractuelle, il s’exposerait évidemment à des sanctions, car c’est cette obligation qui permet au consommateur de s’engager en toute connaissance de cause. 

Me Gaudin expose enfin les enjeux afférents aux valeurs mobilières, en rappelant l’avis 46-308 du personnel des ACVM : incidences de la législation en valeurs mobilières sur les émissions de jetons à travers lequel les autorités canadiennes soutenaient qu’il était peu probable que les NFT soient considérés comme des contrats d’investissement. À travers cet avis, elles précisaient également que leurs opinions ne devaient pas être considérées comme étant définitives. L’auteur de cette présentation s’est demandé par ailleurs si les choses n’ont pas évolué avec la question du fractionnement des NFT. Il reste à voir si les autorités canadiennes prendront en compte cet aspect soulevé par Me Gaudin. De notre côté, nous croyons que les NFT ne sont pas des contrats d’investissement du fait de l’absence d’entreprise commune, mais ils peuvent devenir des valeurs mobilières dès lors qu’il y a une attente de partage de bénéfices avec un tiers suite à un investissement dans une entreprise commune. Tel sera le cas dans le cadre du fractionnement des NFT.  

Du point de vue pratique, Me Gaudin poursuit avec quelques exemples pour présenter les avantages des Non-Fungibles-TokensCryptoKitties, un jeu en ligne, qui a permis de développer un nouveau type de biens numériques a servi d’illustration, puis NBA Top Shot, une plateforme soutenue par la NBA. Cette dernière collectionne les actions des joueurs sous forme d’extrait d’une vidéo permettant d’obtenir un NFT qui confère à son titulaire un droit de visionnage à usage personnel ou un droit de revente sur un marché dédié. 


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