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Réflexion sur les Jetons Non-Fongibles (NFT)

Par Vincent Morin, étudiant en droit, Université Laval

Qu’est-ce qu’un Jeton Non-Fongible, réellement ?

Voilà quelques années que le monde des crypto-enthousiastes se gargarise d’une innovation singulière sur les chaînes de blocs : celle des jetons non-fongibles, dits NFTs, et leur marchandisation. Présentés comme une révolution dans le monde des arts, notamment la production artistique digitale, les jetons non-fongibles prennent la forme d’images, de vidéos ou de sons qui ont la particularité d’être authentifiés grâce à un protocole standardisé d’une chaîne de blocs. [1] Contrairement aux cryptomonnaies comme le Bitcoin et l’Ether, les jetons non-fongibles ne sont pas interchangeables : chaque jeton est unique et sert l’authentification de quelque chose de singulier.

On retrouve ces jetons sur des marchés en ligne comme Crypto.com, Binance et OpenSea où il est possible d’acquérir, en échange de cryptomonnaies comme l’Ether, des œuvres en tout genre : d’une musique composée par un artiste émergeant à l’image cartoon d’un singe généré procéduralement.

Mais, finalement, qu’est-ce que j’achète réellement lorsque j'échange quelques ethers contre l’image d’un singe sur OpenSea? Puisque le fichier numérique est visible sur un site web public, accessible à tous, rien n’empêche l’internaute averti d’en télécharger ou d’en capturer tout simplement le contenu. S’agit-il d’un certificat assurant la propriété authentique et exclusive de ladite image; ses reproductions étant des contrefaçons? La question est intéressante.

Un mythe entourant les NFTs voudrait que les fichiers digitaux soient fixés directement par un contrat intelligent sur les chaînes de blocs qui les supportent. Ainsi, en existant sur la chaîne de blocs d’Ethereum, une image deviendrait infalsifiable. Il n’y a rien de plus faux. Dans la quasi-totalité des cas, les fichiers, qu’ils soient photos, vidéos ou audios sont bien trop volumineux pour être pris en charge par la chaîne de blocs en elle-même : assurer l’authenticité de tous ces fichiers nécessiterait une puissance de calcul trop importante pour la chaîne de bloc et entraînerait des coûts (gaz) trop importants pour les utilisateurs de la chaîne de bloc.

Où est donc stockée l’image de mon singe?

Généralement, sur Google Drive ou un hébergeur web 2.0 du même acabit qui n’est, en aucun cas, lié directement à une chaîne de blocs. Alors, si l’image n’est pas sur la chaîne de blocs, qu’ai-je acheté réellement ? Qu’est-ce que mon jeton non-fongible ? Le jeton n’est pas l’image de mon singe, mais plutôt l’hyperlien me permettant de le trouver et les informations se rapportant à celui-ci (nom de l’artiste, date de création de l’œuvre, nom de l’œuvre, etc.) sur internet. Mon NFT n’est pas le singe, mais le chemin pour trouver le singe. Intéressant.

Intéressant, mais déconcertant. La valeur des NFTs est intimement liée à l’image de l’hyperlien et, quiconque quelque peu familier avec la navigation sur internet le sait : les hyperliens peuvent disparaitre ou reconduire nulle part. Qu’arrive-t-il si, du jour au lendemain, un hyperlien NFT ne fonctionne plus, ne renvoie plus à rien ?

« C’est une erreur 404 chère payée », tranche Aaron Perzanowski, professeur spécialiste du droit de la propriété des médias digitaux à la Case Western Reserve University de l’État de l’Ohio. [2]

Le problème est le suivant : l’hyperlien NFT renvoie à une adresse internet, à une URL qui ne vous appartient pas. [3] Rien n’empêche le propriétaire de cette URL de modifier le contenu de son site internet et, par conséquent, supprimer ce à quoi renvoie le lien, ou bien en modifier le contenu. Le propriétaire pourrait également oublier de payer les frais se rapportant au maintien du site sur internet, ce qui entraînerait sa disparition. Même, un dysfonctionnement du disque dur sur lequel sont hébergés les fichiers d’une URL pourrait les supprimer de façon permanente. Mon singe pourrait, du jour au lendemain, disparaître ou devenir autre chose. 

Pour remédier à la situation, plusieurs NFTs, au lieu de référer à une adresse internet URL, reposent sur le système IPFS (InterPlanetary File System). Les adresses IPFS, plutôt que de se rattacher à un hébergeur unique, permettent de retrouver un fichier à travers un réseau d’hébergeurs. [4] Cependant, l’architecture de ce système est loin d’être idéale, voire compatible avec le fonctionnement même des NFTs. [5] À plusieurs occasions, les adresses IPFS d’œuvre d’artistes majeurs du monde des NFTs ont été incapables d’afficher les fichiers hébergés par le système. [6]

Alors, si mon hyperlien NFT qui n’est, ni une image, ni un certificat d’authentification, venait à se briser parce que l’hébergeur du singe faisait faillite, qu’en serait-il de la valeur de mon NFT? Trois scénarios nous semblent possibles : 

1. Soit, l’image de mon singe existe quelque part sur le web ou dans mes données personnelles et je peux prouver que mon hyperlien NFT s’y rattachait. Dans ce cas, un acheteur subséquent pourrait trouver dans mon hyperlien NFT l’authentification de la propriété de l’image et il serait possible d’en retenir une certaine valeur.

2. Soit, l’image de mon singe existe autre part sur mon hyperlien NFT, mais je ne peux faire la preuve que mon hyperlien s’est rattachée à mon image par le passé, de sorte que mon jeton ne puisse servir d’authentification de la propriété de l’image, auquel cas il serait difficile, voire impossible d’en retenir une quelconque valeur.

3. Soit, l’image de mon singe n’existe nulle part et seul demeure mon hyperlien NFT, de sorte que le jeton ne se rattache à rien. Dans ce cas, il serait difficile de créer du néant une valeur à ce NFT. 

Et encore, nous l’avons compris, il n’est pas impossible de vendre du vide…

[1] Rameerez, “Problems and technical nuances of NFT immutabilité and IPFS”, 12 février 2022, en ligne:https://rameerez.com/problems-and-technical-nuances-of-nft-immutability-and-ipfs/

[2] Jacob Kastrenakes, “Your million-dollar NFT Can Break Tomorrow If You’re Not Careful”, The Verge, 25 mars 2021, en ligne: https://www.theverge.com/2021/3/25/22349242/nft-metadata-explained-art-crypto-urls-links-ipfs.

[3] Ibid.

[4]  Juan Benet, “IPFS - Content Addressed, Versioned, P2P File System (DRAFT 3), 2015, Repéré à https://ipfs.io/.

[5] Supra, note 1.

[6] Supra, note 2.

 

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